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Du 22 octobre, à son père : « Voici une troisième lettre que je t’écris depuis que je suis ici. On m’a conseillé de ne pas envoyer la seconde, qui était encore un peu bizarre, du moins aux yeux des docteurs… Aujourd’hui, je vais très bien, et ce qui le prouve, c’est que je dois dîner aujourd’hui au château avec M. Blanche… Ma rechute a duré une huitaine de jours, mais je n’ai pas souffert. M. Blanche a fait faire mon déménagement et je suis dans mes meubles, avec mes livres et mes tableaux… La prolongation de mon séjour est due surtout à certaines bizarreries qu’on avait cru remarquer dans ma conduite. Fils de maçon et simple louveteau, je m’amusais à couvrir les murs de figures cabalistiques et à prononcer ou à chanter des choses interdites aux profanes ; mais on ignore ici que je suis compagnon-égyptien (refik). Enfin, j’en suis sorti, et je ne souhaite à personne de passer par les mêmes épreuves. Si la vie est un voyage, je demande à voyager quelques jours pour ma santé[1]. » Il parle ensuite d’une affaire, assez longuement et avec bon sens ; mais son papier est orné de signes cabalistiques et de dessins bizarres.

Il se remit à travailler, dans la maison de fous. À Georges Bell : « (Sans date.) … Ne m’abandonnez pas, si longue que soit par ce temps-ci la course de Passy. J’ai à vous parler beaucoup. Ce que j’écris en ce moment tourne trop dans un cercle restreint. Je me nourris de ma propre substance et ne me renouvelle pas. De plus, j’ai de l’inquiétude quant au placement de la copie. Venez donc bien vite[2]. »

Ce sang-froid et cette lucidité ont invariablement leur contre-partie dans les ténèbres et les orages de

  1. La Presse, 22 septembre 1862.
  2. Gérard de Nerval, par Georges Bell.