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des superstitions, et il marchait dans un monde dont nous n’avons aucun soupçon, nous autres gens d’esprit rassis et terre à terre, un monde spiritualisé, pour ainsi dire, où toutes les énergies, toutes les formes de la matière sont des esprits, des êtres ayant vie et volonté. Un séjour qu’il fit en Orient le confirma dans ses idées.

Il avait entrepris ce voyage pour prouver au public qu’il avait recouvré la santé ; il écrivait à son père, de sa première étape[1] : — « Lyon, le 25 décembre 1842… — L’hiver dernier a été pour moi déplorable, l’abattement m’ôtait les forces, l’ennui du peu que je faisais me gagnait de plus en plus et le sentiment de ne pouvoir exciter que la pitié à la suite de ma terrible maladie m’ôtait même le plaisir de la société. Il fallait sortir de là par une grande entreprise qui effaçât le souvenir de tout cela et me donnât aux yeux des gens une physionomie nouvelle… » La même préoccupation se fait jour dans la suite de sa correspondance. Il ne se lasse pas d’insister sur sa belle santé. — « Constantinople, ce 19 août (1843)… Ni la mer, ni les chaleurs, ni le désert n’ont pu interrompre cette belle santé dont mes amis se défiaient tant avant mon départ. Ce voyage me servira toujours à démontrer aux gens que je n’ai été victime, il y a deux ans, que d’un accident bien isolé. Je me suis remis à travailler, et j’attends ici la réponse d’un libraire avec qui j’avais pris des arrangements pour mon voyage… Le meilleur, c’est que j’ai acquis de la besogne pour longtemps et me suis créé, comme on dit, une spécialité. J’ai fait oublier ma maladie par un voyage, je me suis instruit, je me suis même amusé… » Au même, sans date (M. Labrunie a écrit au verso de la lettre : reçue

  1. Les Oubliés (Nouvelle Revue internationale, 30 juin 1895).