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que l’on m’ait trouvé changé pendant quelques jours du printemps dernier.

« L’illusion, le paradoxe, la présomption sont toutes choses ennemies du bon sens dont je n’ai jamais manqué ! Au fond, j’ai fait un rêve très amusant et je le regrette ; j’en suis même à me demander s’il n’était pas plus vrai que ce qui me semble seul explicable et naturel aujourd’hui, mais comme il y a ici des médecins et des commissaires qui veillent à ce qu’on n’étende pas le champ de la poésie aux dépens de la voie publique, on ne m’a laissé sortir et vaquer définitivement parmi les gens raisonnables que lorsque je suis convenu bien formellement d’avoir été malade, ce qui coûtait beaucoup à mon amour-propre, et même à ma véracité. — Avoue ! avoue ! me criait-on, comme on faisait jadis aux sorciers et aux hérétiques, et pour en finir, je suis convenu de me laisser classer dans une affection définie par les docteurs, et appelée indifféremment Théomanie ou Démonomanie dans le dictionnaire médical. À l’aide des définitions incluses dans ces deux articles, la science a le droit d’escamoter ou réduire au silence tous les prophètes et voyants prédits par l’Apocalypse, dont je me flattais d’être l’un. Mais je me résigne à mon sort, et, si je manque à ma prédestination, j’accuserai le docteur Blanche d’avoir subtilisé l’esprit Divin.

« … Je me trouve tout désorienté et tout confus en retombant du ciel où je marchais de plain-pied, il y a quelques mois. Quel malheur qu’à défaut de gloire, la société actuelle ne veuille pas toutefois nous permettre l’illusion d’un rêve continuel. Il me sera resté du moins la conviction de la vie future et de la sympathie immortelle des esprits qui se sont choisis ici-bas… »

Quels que fussent les torts de la société, Gérard de