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l’inextricable réseau d’une végétation sauvage. La pâle lumière des astres éclairait seule les perspectives bleuâtres de cet étrange horizon ». Tantôt les âmes des morts s’entretenaient avec lui, non point comme s’entretiennent les vivants, mais par une « sorte de communication » qu’il est impossible d’expliquer, et il leur disait avec ravissement : — « Cela est donc vrai ! Nous sommes immortels et nous conservons ici les images du monde que nous avons habité. Quel bonheur de songer que tout ce que nous avons aimé existera toujours autour de nous !… J’étais bien fatigué de la vie ! » L’un de ces « esprits » le conduisit dans une cité lumineuse où il faisait sa demeure avec d’autres esprits. De belles jeunes filles dont l’âme transparaissait à travers leurs formes délicates regardèrent l’étranger avec des yeux souriants, et leur aspect lui remplit l’âme de regrets : « Je me mis à pleurer à chaudes larmes, comme au souvenir d’un paradis perdu. Là, je sentis amèrement que j’étais un passant dans ce monde à la fois étranger et chéri, et je frémis à la pensée que je devais retourner dans la vie. »

Une autre fois, il se promenait dans un jardin abandonné avec une jeune femme d’une taille élancée, comme l’Adrienne de ses jeux d’enfant. Sa compagne se mit tout à coup « à grandir sous un clair rayon de lumière », et à « s’évanouir dans sa propre grandeur ». Il reconnut Aurélia, autrement dit Jenny Colon, et, en même temps, le jardin prit l’aspect d’un cimetière : — « Ce rêve… me jeta dans une grande perplexité. Que signifiait-il ? Je ne le sus que plus tard. Aurélia était morte. — Je n’eus d’abord que la nouvelle de sa maladie. Par suite de l’état de mon esprit, je ne ressentis qu’un vague chagrin mêlé d’espoir. Je croyais moi-même n’avoir que peu de temps à vivre,