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tu manges comme un corbeau — et voici que le printemps survenant à point nommé, tandis que tu es dans tes terres, va t’environner de verdure et de parfums. Reste là jusqu’aux premières fleurs ; tu nous y recevras et nous irons jaser sous l’orme et dans les lilas[1]… »

Le printemps l’environna en effet de verdure et de parfums, et la splendeur du monde lui parut encore plus merveilleuse que par le passé : « La maison où je me trouvais, écrivait-il plus tard, située sur une hauteur, avait un vaste jardin planté d’arbres précieux. L’air pur de la colline où elle était située, les premières haleines du printemps, les douceurs d’une société toute sympathique, m’apportaient de longs jours de calme. Les premières feuilles des sycomores me ravissaient par la vivacité de leurs couleurs, semblables aux panaches des coqs de Pharaon. La vue, qui s’étendait au-dessus de la plaine, présentait du matin au soir des horizons charmants, dont les teintes graduées plaisaient à mon imagination. Je peuplais les coteaux et les nuages de figures divines dont il me semblait voir distinctement les formes. » La nuit, des songes venaient éclairer et préciser ces ébauches, et l’énigme de l’univers se découvrait à ses regards éblouis. Tantôt il assistait à la création. Les premiers germes s’entr’ouvraient à la surface du globe, et, « du sein de l’argile encore molle s’élevaient des palmiers gigantesques, des euphorbes vénéneux et des acanthes tortillées autour des cactus ; — les figures arides des rochers s’élançaient comme des squelettes de cette ébauche de création, et de hideux reptiles serpentaient, s’élargissaient ou s’arrondissaient au milieu de

  1. Publiée par M. Louis de Barre dans la Nouvelle Revue internationale du 15 juin 1894.