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le montrent incapable d’inventer le roman des autres[1], comme s’il avait dépensé toute son imagination à créer le sien. C’est une manière, qui en vaut une autre, d’entendre l’art du romancier.

Plus encore que ses pièces, que ses romans, que ses articles, Gérard de Nerval perdait ses vers. Cela lui était d’autant plus aisé, que, le plus souvent, il ne les écrivait même pas. On n’a trouvé dans les carnets tombés de ses poches que des matériaux poétiques tels que rimes, hémistiches, fragments de vers ou vers isolés. On sait pourtant par lui-même qu’il avait composé un nombre énorme de poésies, à tout propos. Il avait recours à la langue des dieux pour rendre tous les sentiments violents de son âme, qu’ils fussent de joie ou de douleur : « J’ai fait, disait-il sur la fin de sa vie, mes premiers vers par enthousiasme de jeunesse, les seconds par amour, les derniers par désespoir. La Muse est entrée dans mon cœur comme une déesse aux paroles dorées ; elle s’en est échappée comme une Pythie en jetant des cris de douleur. » On sait déjà ce qu’il faut penser des vers de jeunesse, quelle en est la banalité, quelle la platitude. Des vers d’amour et de désespoir, il subsiste deux odelettes dont nous avons cité la plus jolie : « Il est un air… » ; et une série intitulée les Chimères, dix pages en tout, mais dix pages à donner de grands regrets de la perte du reste.

Les Chimères n’avaient pas subi, elles non plus — ou bien peu, — l’influence des cénacles ; elles sont d’un précurseur et non d’un imitateur. Le sonnet panthéiste intitulé Vers dorés donne l’exemple de cette imprécision de la pensée, si recherchée de nos jours, qui ouvre au

  1. Voir Jemmy, Émilie, la Main enchantée, et en général toutes les nouvelles qui ne sont pas des mémoires plus ou moins déguisés.