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l’ironie du contraste douloureux entre l’Idée et les formes périssables, éphémères, sous lesquelles elle se manifeste sur la terre. Le parfait n’apparaît à nos yeux qu’en cessant d’être parfait ; il n’existe pour nous qu’en s’anéantissant, et, par une conséquence naturelle, « le mysticisme engendre l’ironie quand il abaisse ses regards vers la réalité ».

Hoffmann n’avait pas besoin qu’on lui recommandât l’ironie. Il aurait plutôt eu besoin qu’on lui apprît à parler quelquefois sérieusement. Il se fait dire, dans un de ses contes, par un interlocuteur imaginaire : « Je t’en supplie, pas de ta maudite humour, ça me coupe la respiration. » Telle de ses lettres, sans parler de ses ouvrages, vous coupe, en effet, la respiration, par exemple quand il fait part à un ami de la mort d’un oncle qu’il aimait tendrement (ce n’était pas l’oncle Otto) dans les termes que voici : « L’oncle de Berlin est devenu, comme dit Mercutio, un homme tranquille ; il est mort… »

Le fantastique le séduisait à l’égal de l’ironie, parce qu’il y était aussi dans son élément, grâce à son système d’entraînement par le vin. Il y avait une dizaine d’années qu’il se « montait » presque tous les jours, et il en était arrivé à voir des scènes irréelles qu’il n’avait plus qu’à raconter. C’était désormais un alcoolique. À la vérité, tous les alcooliques ne sont pas sujets à des hallucinations, dans les premiers temps du moins : « Si les illusions, dit le docteur Magnan, sont fréquentes dans l’ivresse, les hallucinations, au contraire, sont rares ; certains auteurs… n’en font pas mention ; d’autres, au contraire, attribuant à l’ivresse des symptômes qui appartiennent à une autre phase de l’alcoolisme, signalent non seulement des hallucinations, mais encore des idées de suicide sous l’influence des hallucinations, des impulsions mania-