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attachés à sa destinée. » L’âme d’Adrienne pouvait avoir été envoyée à l’autre extrémité des tréteaux divins, de même qu’elle pouvait frôler Gérard sous un déguisement. Cependant, lui et elle devaient fatalement se retrouver un jour ou l’autre à cause du « lien », du lien « mystique et indestructible », créé par leur rencontre dans une vie antérieure dont Gérard avait gardé un insaisissable mais sûr souvenir. Ces idées paraissent folles à qui a mis sa confiance et sa foi dans la science : « L’arbre de science, écrivait Gérard de Nerval, n’est pas l’arbre de vie. » C’est ce que disent aussi les occultistes d’à présent. Qui est fou ? Qui ne l’est pas ? Quand Gautier vieilli rappelait ses souvenirs sur le compagnon de sa jeunesse, il avouait qu’entre romantiques la distinction était presque impossible, parce qu’il était trop difficile dans leur monde « de paraître extravagant ». La même situation se représente de nos jours pour les nouvelles générations. Il sera bientôt impossible de « paraître extravagant », dans notre âge de névrosés, d’alcooliques et de morphinomanes. Sans cesse la question se pose : qui est fou ? qui ne l’est pas ? et bien habile qui peut y répondre avec certitude.

Gérard de Nerval lui-même n’y était point parvenu d’emblée. Avant d’admettre qu’il était en commerce régulier avec l’au-delà, il avait eu sa période de doute, pendant laquelle il aurait donné beaucoup pour savoir si ses visions étaient de pures hallucinations, ou si elles correspondaient à quelque chose dans le monde qu’on nomme réel. Une nuit — c’était avant la mort d’Adrienne — il était retourné dans les bois d’Ermenonville, familiers à son enfance, et il avait pénétré dans les ruines de la vieille abbaye de Châalis, au bord des étangs du même nom. La charmante chapelle de l’abbé, décorée, disait-on, par le Primatice,