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celle de sa femme, lui faisait mal, et qu’il n’y avait qu’une seule chose au monde qui pût l’attrister davantage, ce serait de recevoir de l’argent qu’il n’aurait pas gagné[1] ».

Le directeur de la Gazette musicale était homme d’esprit. Il répondit à ce correspondant original qu’il l’engageait à lui écrire un conte dont le héros serait un musicien plein de belles idées, mais aux trois quarts fou et tant soit peu grotesque. Le conte ne fut pas écrit ; néanmoins le conseil ne fut pas perdu. Il poussait Hoffmann du côté où il penchait. La mode du jour l’avait disposé à chercher ses sujets dans le monde des malades et du mystère, et les progrès de l’alcoolisme ne lui rendaient que trop facile de se représenter des personnages singuliers, faisant des actions de rêve.

Le romantisme allemand était devenu morbide sous l’influence de Tieck et des Schlegel. Henri Heine appelait les écrivains de leur école des « troubadours somnambules », et le nom était bien trouvé. Tieck et les Schlegel, en opposition à l’esprit cosmopolite de Goethe, avaient excité l’Allemagne à se replier sur elle-même et à ne demander qu’à son passé les éléments d’un renouvellement poétique. On ne voulait plus d’influences étrangères, de peur de retomber encore dans les imitations. On se retourna vers le moyen âge germanique, et ce fut alors une débauche de mysticisme et de fantastique. En même temps, l’ironie devenait le mot d’ordre du romantisme, pour des raisons subtiles qu’un des esthéticiens les plus distingués du parti, le philosophe Solger, a expliquées ingénieusement, sinon avec clarté. S’inspirant de la théorie platonicienne des Idées, Solger fait jaillir

  1. Hitzig, traduction Loève-Veimars.