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fallait qu’elle apparût reine ou déesse, et surtout n’en pas approcher. Quelques-uns d’entre nous néanmoins prisaient peu ces paradoxes platoniques. » L’un de ces derniers ayant cru deviner que Gérard de Nerval était amoureux d’une réalité lui adressa une question indiscrète. Il répliqua : « Moi ? C’est une image que je poursuis, rien de plus. »

L’image avait des cheveux d’or, couronnés de laurier « dont les feuilles lustrées éclataient… aux rayons pâles de la lune ». Elle glissait sur l’herbe, à demi portée par les brouillards du soir, et laissait traîner dans la rosée un long voile de religieuse. Son nom était Adrienne. Le lecteur la connaît : elle était apparue une seule fois à Gérard, sur une place verte devant un vieux château, et il s’était demandé, en mettant un baiser d’enfant sur sa joue rose, dans quelle existence il l’avait déjà rencontrée. Il avait vécu depuis dans l’attente d’Adrienne. Qu’elle fût morte, cela n’était pas un obstacle insurmontable ; puisque les âmes transmigrent, celle de son unique amour était peut-être passée dans le corps d’une autre femme, moins inabordable pour lui que ne l’eût été une descendante des rois de France. Mais il fallait la reconnaître, et l’on pouvait se tromper, malgré les avertissements des « sympathies occultes » et les communications établies par les songes entre le monde visible et le monde des Esprits. On pouvait aussi tarder à se rencontrer. Gérard de Nerval considérait notre globe comme un immense Guignol où les âmes viennent répéter leur rôle et étudier leurs gestes, à de certaines périodes de leur cycle sans fin. « C’est ainsi, dit-il, que je croyais percevoir les rapports du monde réel avec le monde des esprits. La terre, ses habitants et leur histoire étaient le théâtre où venaient s’accomplir les actions physiques qui préparaient l’existence et la situation des êtres immortels