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nécessaire, et n’étaient pauvres que parce qu’ils le voulaient bien, parce qu’ils aimaient mieux s’acheter des habits en velours nacarat et des bottes à l’écuyère, comme Rogier, ou des Fragonard et des meubles Renaissance, comme Gérard de Nerval, que de payer bourgeoisement leurs fournisseurs. L’argent leur brûlait les doigts — ils ne se représentaient pas des « Titans » ayant de l’ordre et faisant de bons placements, — mais ils le dépensaient en artistes. Plusieurs en ont rappelé de leur mépris pour les capitalistes ; mais ce changement de mode vint trop tard pour Gérard de Nerval. Le seul héritage qu’il ait jamais fait lui tomba du ciel en 1835. Il en consacra la meilleure partie à remplir l’appartement du Doyenné de toiles de maîtres et de vieux meubles, et ne s’en repentit point dans la suite, quand la maladie le laissa dans le dénuement. Il n’eut jamais le courage de regretter quoi que ce fût des deux années du Doyenné ; il n’y pouvait penser sans s’écrier : « Quels temps heureux ! »

Il avait fait un musée du vieux salon aux glaces troubles. On compléta le décor en invitant des amis à repeindre les boiseries trop défraîchies. Ces amis s’appelaient Corot, Rousseau, Nanteuil, Chassériau, Châtillon, Leleux, Lorentz, Wattier, et chacun exécuta une « fresque » ou deux, « au grand effroi du propriétaire, qui considérait les peintures comme des taches ». Quand tout fut prêt, on lança des invitations pour la célèbre fête du 28 novembre 1835.

Il avait été décidé qu’elle serait costumée ; c’était bien le moins chez des romantiques qui se déguisaient tous les jours de leur vie. Trente ans, cinquante ans après, les survivants ne songeaient encore qu’avec des éblouissements à la gaieté qui se dépensa ce soir-là en pantomimes, en parades, en sarabandes et en chansons. Les fresques tenaient lieu de rafraîchissements ; c’était