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Un soir de troubles, en 1831, Gérard de Nerval était allé au cabaret, avec quelques amis, s’exercer à être « truand et talon rouge tout à la fois », selon la poétique de la bohème romantique. Aucun d’eux ne savait pourquoi la ville était en rumeur, mais elle leur plaisait ainsi : « Nous traversions l’émeute, raconte Gérard, en chantant et en raillant, comme les épicuriens d’Alexandrie (du moins, nous nous en flattions). Un instant après, les rues voisines étaient cernées, et, du sein d’une foule immense, composée, comme toujours, en majorité de simples curieux, on extrayait les plus barbares et les plus chevelus[1]. » Des sergents de ville sans littérature empoignèrent ces jeunes insolents d’accoutrement insolite, et Gérard de Nerval fut écroué à Sainte-Pélagie sous la prévention de complot contre l’État.

La première nuit fut à souhait pour un noctambule. Son dortoir contenait une quarantaine de braves gens pleins d’entrain, qui se mirent en devoir de jouer une charade à grand spectacle, de leur composition, et représentant la révolution de 1830. On y voyait d’abord Charles X et ses ministres tenant conseil : — « Ensuite venait la prise de l’Hôtel de Ville ; puis une soirée à la Cour à Saint-Cloud, le gouvernement provisoire, La Fayette, Laffitte, etc. : chacun avait son rôle et parlait en conséquence. Le bouquet de la représentation était un vaste combat des barricades, pour lequel on avait dû renverser lits et matelas ; les traversins de crin, durs comme des bûches, servaient de projectiles. Pour moi, qui m’étais obstiné à garder mon lit, je ne peux point cacher que je reçus quelques éclaboussures de la bataille. Enfin, quand le triomphe fut regardé comme suffisamment décidé, vainqueurs et vaincus se réunirent pour chanter… la Marseillaise. »

  1. Mes Prisons.