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Baratte, où les facteurs de la Halle et les gros marchands vont souper à sept francs par tête, et, enfin, le fameux Paul Niquet : « Il y a là évidemment moins de millionnaires que chez Baratte… Les murs, très élevés et surmontés d’un vitrage, sont entièrement nus. Les pieds posent sur des dalles humides. Un comptoir immense partage en deux la salle, et sept ou huit chiffonnières, habituées de l’endroit, font tapisserie sur un banc opposé au comptoir. Le fond est occupé par une foule assez mêlée, où les disputes ne sont pas rares. Comme on ne peut pas à tout moment aller chercher la garde, le vieux Niquet, si célèbre sous l’Empire par ses cerises à l’eau-de-vie, avait fait établir des conduits d’eau très utiles dans le cas d’une rixe violente. On les lâche de plusieurs points de la salle sur les combattants, et, si cela ne les calme pas, on lève un certain appareil qui bouche hermétiquement l’issue. Alors, l’eau monte, et les plus furieux demandent grâce. »

Les nouveaux venus payaient une tournée aux chiffonnières « pour se faire un parti dans l’établissement en cas de dispute ». Une vieille à qui Gérard de Nerval avait offert un « verjus » l’en récompensa par des confidences : « Toi, lui dit-elle, t’es bien zentil aussi, mon p’tit fy ; tu me happelles le p’tit Ba’as (Barras) qu’était si zentil, si zentil, avec ses cadenettes et son zabot d’Angueleterre… Ah ! c’était z’un homme aux oiseaux, mon p’tit fy, aux oiseaux !… vrai ! z’un bel homme comme toi ! » Un second verjus acheva de lui délier la langue : « Vous ne savez pas, mes enfants, que j’ai été une des merveilleuses de ce temps-là… J’ai eu des bagues à mes doigts de pied… Il y a des mirliflores et des généraux qui se sont battus pour moi ! » Gérard de Nerval ne regretta point son argent ; on ne pouvait payer trop cher les souvenirs d’une belle du