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nos jours le même sort. Chaque année voit grossir leurs rangs ; les moins atteints s’arrêtent au seuil de la démence ; les autres le franchissent et s’installent dans le royaume de folie, comme le doux poète qui va nous servir de guide et dont l’ombre doit se réjouir en contemplant les flots humains poussés sur ses traces par l’alcool, la morphine, le harassement d’une vie trop dure et trop pressante, le poids d’une civilisation trop compliquée. Non que Gérard de Nerval fût capable de souhaiter du mal à âme qui vive ; mais on n’est jamais insensible au progrès de ses idées, et le chemin suivi allégrement par nos générations est celui qui, dans sa conviction, l’avait mené à la vérité. Il est à craindre que, pour elles comme pour lui, ce ne soit plutôt la maison de fous qui se trouve au bout.


I

Un pareil homme ne pouvait pas avoir des origines prosaïques ; il lui fallait des ancêtres de conte de fée. Un tableau généalogique, de la main de Gérard de Nerval[1] et mêlé de signes cabalistiques, le fait descendre d’un bon chevalier allemand du moyen âge, arrivé je ne sais comment au fin fond de la France. Dans les derniers temps de sa vie, il avait trouvé mieux

  1. Collection de M. de Spoelberch de Lovenjoul. Nous devons à M. de Spoelberch la communication des papiers et correspondances de Gérard de Nerval, ainsi que de nombreux documents se rapportant à lui et à son œuvre et des renseignements en tous genres sans lesquels notre tâche eût été impossible. Nous le prions de recevoir ici nos remerciements. Nous remercions également M. Henry Houssaye, qui a bien voulu mettre à notre disposition des lettres et des notes provenant des papiers de M. Arsène Houssaye.