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je ne vous ai pas encore dit que vos vers me sont parvenus le jour même où j’allais prendre un parti qui m’aurait emporté loin, bien loin de vous, douce, douce Hélène, et de ce rêve divin qu’est votre amour[1]. » Le parti qu’il avait failli prendre consistait à demander une autre veuve, vieille et laide elle aussi, Mrs Shelton. Les vers de Mrs Whitman, où il était question de lui, avaient fixé sa résolution en l’encourageant.

Il obtint une entrevue de sa « douce Hélène », alla se promener avec elle dans un cimetière et lui demanda sa main séance tenante. Une correspondance extravagante s’engagea entre eux. Poe jurait — les vieux moyens sont toujours les meilleurs — qu’il « aimait pour la première fois ». Mrs Whitman hésitait, alléguant ses quarante-cinq ans, sa mauvaise santé et sa figure disgraciée : — « Quand ce serait vrai, répliquait Poe… Ne voyez-vous pas — j’en appelle à votre raison, ma bien-aimée, non moins qu’à votre cœur — que c’est ma nature supérieure — mon être spirituel, qui brûle et halette de se confondre avec le vôtre ? L’âme a-t-elle un âge, Hélène ?


Ah ! qu’en termes galants ces choses-là sont mises !

Mrs Whitman se laissa convaincre, en dépit d’une scène horrible où les éclats de voix de l’ivresse s’entendirent dans toute la maison : « Je n’ai jamais rien entendu d’aussi effrayant ; c’en était sublime », disait-elle ensuite avec indulgence. Ils prirent jour pour se marier, mais Poe ne dégrisait pas, et Mrs Whitman rompit l’avant-veille, au grand soulagement du fiancé si l’on pouvait l’en croire : « Je suis si, si heureux », répétait-il, et il s’occupa incontinent d’épouser Mrs Shel-

  1. Pour ces épisodes, voir Ingram.