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ce qu’elle avait vu à une personne charitable, Mrs Shew. Les secours arrivèrent aussitôt sous forme de literie, de linge, de vin vieux, de tout ce qui pouvait prolonger une existence condamnée ou en adoucir les derniers moments. Un journal fit appel à la charité publique, comme d’autres l’avaient fait jadis pour la mère de Poe. Celui-ci, le rouge au front, lut ces lignes contre lesquelles il crut devoir protester : « Nous apprenons avec regret qu’Edgar Poe et sa femme sont tous les deux dangereusement malades de consomption, et que la main de l’adversité pèse lourdement sur leurs affaires temporelles. Nous sommes peinés de devoir dire qu’ils sont gênés au point de manquer des objets de première nécessité. C’est vraiment dur, et nous espérons que les amis et admirateurs de M. Poe viendront promptement à son aide, à l’heure amère du besoin. » Les amis et admirateurs envoyèrent quelque argent ; mais le résultat le plus clair de cette note — rougissons, à notre tour, pour l’humanité — fut de déchaîner dans la presse américaine un orage d’injures contre le poète aux abois. Un bas-bleu qu’il avait eu le malheur d’offenser eut soin d’envoyer à Virginie, dont elle empoisonna ainsi les derniers jours[1], les articles les plus venimeux contre son mari.

Le 29 janvier 1847, Poe mandait précipitamment la bienfaitrice à laquelle sa Virginie devait d’avoir chaud pour mourir. « Elle veut vous remercier encore une fois, écrivait-il. Son cœur — comme le mien — déborde d’une reconnaissance pour laquelle il n’y a pas de paroles. Elle me charge, pour le cas où elle ne vous reverrait plus, de vous dire qu’elle vous envoie son baiser le plus tendre et qu’elle mourra en vous bénis-

  1. Ingram, vol. II, p. 98.