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au bout de peu de temps que ce langage était d’un ingrat et que son instinct l’avait très bien servi. La bouteille, qui abrutit tant de gens, peut en soulever d’autres au-dessus d’eux-mêmes : « On parle souvent de l’inspiration que les artistes puisent dans l’usage des boissons fortes, — on cite des musiciens et des poètes qui ne sauraient travailler autrement (les peintres, autant que je sache, sont restés à l’abri de ce reproche). Je n’en crois rien, mais il est certain que, lorsqu’on est dans l’heureuse disposition, je pourrais dire dans la constellation favorable, où l’esprit passe de la période d’incubation à celle de création, une boisson spiritueuse imprime aux idées un mouvement plus vif. La comparaison qui me vient à l’esprit n’est pas bien noble ; mais, de même qu’une roue de moulin travaille plus vite quand le torrent grossit et augmente de force, de même, quand l’homme se verse du vin, le mouvement intérieur prend une allure plus rapide ! C’est tout de même beau qu’un noble fruit porte en lui-même de quoi régir l’esprit humain, par un procédé inexplicable, dans ses résonances les plus personnelles. »

Le tout est de savoir se griser. C’est une science comme une autre, qui exige des études et un sens délicat des rapports de la psychologie avec la physiologie. Hoffmann se flattait de la posséder à fond et de pouvoir, au besoin, en donner des leçons. C’était avec du vin, et du meilleur, qu’il accélérait la roue de son moulin. Il y ajoutait çà et là un bol de punch, pour le plaisir de contempler « le combat entre les salamandres et les gnomes qui habitent dans le sucre ». En bon français, il aimait à le voir flamber ; mais le punch jouait un rôle secondaire dans l’évocation de ce qu’il appelait « son humeur exotique ». C’est au vin qu’il la demandait, source unique des ivresses généreuses et légères qui excitent le cerveau et donnent des ailes à