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s’empressait de mettre à la porte et que chacun se croyait le droit de chapitrer. Je ne crois pas que jamais poète ait été autant sermonné, aussi durement, et je suis certain qu’il ne s’en serait pas trouvé un second pour l’endurer avec cette humilité.

Presque au début de sa carrière, il est chassé d’un magazine qu’il venait de sauver, parce que deux numéros de suite n’ont pu paraître à leur date. Le propriétaire du journal lui écrit : « — Mon cher Edgar,… je crois fermement à la sincérité de toutes vos promesses ; mais j’ai peur que vous ne manquiez à vos résolutions en remettant le pied dans nos rues et que vous ne buviez encore jusqu’à y laisser votre raison. Vous êtes perdu si vous comptez sur vos propres forces. Il n’y a de salut pour vous qui si vous implorez l’aide de votre Créateur. Combien j’ai regretté de me séparer de vous, Lui seul le sait. Je vous étais attaché, je le suis encore, et je dirais volontiers : — « Revenez », si le passé ne me faisait craindre une nouvelle rupture à brève échéance. Si vous vouliez vous contenter de prendre vos quartiers chez moi, ou dans toute autre famille n’usant pas de boissons alcooliques, j’aurais quelque espoir. Mais si vous allez soit à la taverne, soit dans tout autre lieu où l’on fait usage de ces boissons, vous êtes perdu. J’en parle par expérience. Vous avez de belles facultés, Edgar, et vous leur devez de leur assurer le respect aussi bien qu’à vous-même. Apprenez à vous respecter, et vous vous apercevrez bien vite que les autres vous respecteront. Séparez-vous pour toujours de la bouteille et des compagnons de bouteilles. Dites-moi si vous pouvez et voulez le faire. Si jamais vous rentrez dans mes bureaux, il faut qu’il soit bien entendu que je serai délié de tous mes engagements le jour où vous vous serez enivré. Tout homme qui boit avant son déjeuner est perdu ; il n’est