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y est contenue. Il faut être familier avec beaucoup de choses qu’ils ignorent pour être en état de goûter cette plaisanterie-là ; c’est un plat trop raffiné pour leur palais. Cependant… si M. Poe consentait à s’abaisser au niveau de l’intelligence de la généralité des lecteurs… » on pourrait s’entendre, et la maison lui ferait de bonnes conditions. — La « plaisanterie » des contes de Poe ! Et l’éditeur l’avait comprise, le malheureux ! La lettre se terminait par des indications sur ce qui plaisait au public. On conseillait amicalement à Poe d’écrire de petites satires toutes simplettes, faciles à saisir, sur les défauts de ses concitoyens, ou, mieux encore, sur « les affectations ridicules et les extravagances de la littérature anglaise du jour ». M. Poe, ajoutait le correspondant, n’aurait qu’à vouloir ; il est plein d’humour, ainsi qu’en témoigne son Blackwood, un morceau « capital », et que « tout le monde a compris[1] ».

Blackwood[2], ce chef-d’œuvre d’un Poe humoriste resté inconnu en France, était une grosse bouffonnerie, dans le genre satirique préconisé par les amis de l’auteur. Celui-ci y avait soulagé son cœur de l’amertume dont l’emplissaient les opinions esthétiques et littéraires de ses concitoyens. Son héroïne, miss Zénobie, bas-bleu de son métier, va demander à M. Blackwood, directeur du magazine du même nom, le secret du succès prodigieux de sa publication. M. Blackwood lui livre généreusement sa recette. « — La grande affaire pour nos collaborateurs, lui dit-il, c’est d’avoir des sensations à raconter. Les sensations, voyez-vous, il n’y a que ça. Si jamais vous êtes

  1. The Century, loc. cit.
  2. Voici le titre complet : How to write a Blackwood article. — A predicament. Miss Zenobia’s Blackwood article.