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varier beaucoup avec un même sujet, selon la façon de l’envisager. L’un ne se choisit pas sans l’autre ; la règle est absolue ; mais le reste va ensuite tout seul : « — Ayant fait choix d’un effet qui soit premièrement neuf, et secondement vigoureux, je cherche s’il vaut mieux le mettre en lumière par les incidents ou par le ton, — ou par des incidents vulgaires et un ton particulier, — ou par des incidents singuliers et un ton ordinaire, — ou par une égale singularité de ton et d’incidents ; — et puis je cherche autour de moi, ou plutôt en moi-même, les combinaisons d’événements ou de tons qui peuvent être les plus propres à créer l’effet en question[1]. »

Tous ceux qui ont lu le Cœur révélateur savent que l’effet à produire est ici la terreur, et que Poe a su la porter jusqu’au degré d’intensité où elle devient pénible. On n’oublie plus les angoisses du vieil homme qu’un mouvement de l’assassin a réveillé et qui s’est dressé sur son lit en criant : « — Qui est là ? » — L’assassin s’arrête. Il reste complètement immobile pendant une heure entière, et le vieillard est toujours sur son séant, aux écoutes, paralysé par la terreur et exhalant dans les ténèbres le gémissement « sourd et étouffé qui s’élève du fond d’une âme surchargée d’effroi… La Mort qui s’approchait avait passé devant lui avec sa grande ombre noire… Et c’était l’influence funèbre de l’ombre inaperçue qui lui faisait sentir — quoiqu’il ne vît et n’entendît rien, — qui lui faisait sentir la présence de ma tête dans la chambre ».

Edgar Poe se complaisait aux effets de terreur, sachant bien qu’il y excellait. Il en a qui semblent

  1. The Philosophy of Composition. Baudelaire a traduit ce morceau sous ce titre : la Genèse d’un poème, et l’a placé à la fin du volume de contes intitulé : Histoires grotesques et sérieuses.