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déjà trop désignatif. Il appelait ces brumes intellectuelles les fantaisies de l’âme. Leur demeure est sur les confins de l’inconnaissable ; aussi avait-il désespéré d’abord de les exprimer avec les moyens grossiers dont disposent les hommes ; il lui avait fallu « sa foi dans le pouvoir des mots » pour oser l’entreprendre. La confiance lui était venue en travaillant. Il avait trouvé tout de suite le procédé, qu’il nous livre complaisamment ; il aimait à donner ses recettes au public, sans doute parce qu’il en était fier.

Son art de conteur est extraordinairement méthodique et laborieux. Poe laissait le moins possible au hasard. Il voulait qu’avant de prendre la plume, on eût sa fin dans la tête : « Ce n’est, disait-il, qu’en ayant sans cesse son dénouement devant les yeux, en faisant concourir tous les incidents et le ton général du récit au développement de l’intention que nous pouvons donner à l’action l’air de logique et d’enchaînement qui lui est indispensable. » — L’intention de William Wilson, c’est la scène finale où un homme réussit à tuer sa conscience, ainsi qu’Edgar Poe tremblait de le faire lui-même dans un accès d’alcoolisme. L’intention du Cœur révélateur, c’est encore la scène finale, où la conscience est au contraire la plus forte et oblige un criminel à se livrer à la justice. L’homme a tué. Il a enterré le cadavre dans sa chambre et fait disparaître jusqu’aux dernières traces de son crime. Il assiste à la descente de la police avec un sourire de sécurité, lorsqu’il entend tout à coup le cœur de sa victime battre sous le plancher : « — C’était un bruit sourd, étouffé, fréquent, ressemblant beaucoup à celui que ferait une montre enveloppée dans du coton. » Chose étrange, les policiers ont l’air de ne rien entendre, et pourtant « le bruit monte, monte toujours ». L’homme s’efforce de le couvrir en parlant