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le cœur bon, malgré des habitudes de moquerie qui le faisaient redouter ; il avait beau protester que « l’esprit du véritable amour habitait en lui », ses victimes refusaient d’y croire. Beaucoup de gaieté aussi, inclinant trop à la farce, et coupée d’accès d’une noire hypocondrie qui le laissaient tout épeuré et plein d’angoisse. Ignorant comme une carpe, en dehors du droit et de ce qu’on lui avait enseigné à l’école, lisant peu, et jamais de journal, par principe, ne s’intéressant ni au mouvement général des idées ni aux affaires publiques, mais artiste jusqu’au bout des ongles, jouant du piano, chantant, composant, improvisant, dessinant, peignant, s’exerçant à écrire, il rêvait d’une existence poétique où il n’irait plus à son bureau et ne ferait plus de rapports, et quittait Kœnigsberg mécontent de sa carrière, exaspéré contre l’esprit et les préjugés bourgeois, juste au moment où l’Allemagne intelligente avait pour marotte d’être « géniale ».


II

À la fin du siècle dernier et au début du nôtre, le romantisme allemand était une manière de vivre et de comprendre la vie, autant et plus qu’une manière d’écrire et de comprendre la littérature. La jeunesse s’y jetait avec entraînement, joyeuse d’être débarrassée des tyrannies sociales, car ici encore, et plus que jamais, romantisme signifiait révolte. Ce ne fut que plus tard qu’il s’identifia avec un réveil de l’idée catholique et de tout ce qu’elle ramène avec elle d’opinions et de sentiments. Pour le moment, il consistait essentiellement à s’insurger contre l’étiquette ou la morale courante, contre la mode ou les institutions, pêle-mêle