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particulier et inimitable de douceur et de hauteur dans son expression et dans ses manières, il m’adressa la parole avec calme et gravité, presque froidement et, pourtant, avec quelque chose de si sérieux, que je ne pus m’empêcher d’en être profondément impressionnée. »

Le Manuscrit trouvé dans une bouteille avait paru le 12 octobre 1833. Edgar Poe avait dès lors en portefeuille Bérénice, qui ne fut publié qu’en mars 1835, l’Ombre, Morella, Hans Pfaall, Metzengerstein, et je ne parle que des meilleurs. Il allait écrire trois de ses chefs-d’œuvre : Ligeia, William Wilson, la Chute de la maison Usher. Son dernier recueil de vers contenait quelques-unes de ses pièces les plus intéressantes. Il entrait dans l’arène sachant ce qu’il voulait faire et comment il le ferait, muni de principes arrêtés, dont il ne dévia jamais, sur l’essence de la poésie, son but, ses limites, le but et les limites de la fiction en prose. Il avait déjà commencé le patient travail sur lui-même qu’il poursuivit sans relâche jusqu’à sa mort, et qui finissait quelquefois par effacer de ses œuvres jusqu’aux dernières traces de spontanéité. Edgar Poe a beaucoup écrit, et peu créé. Il se refaisait indéfiniment, avec un goût très sûr, disent les critiques américains qui ont pu comparer entre elles les versions successives du même conte, réimprimées çà et là et quelquefois avec d’autres titres ou sous une autre signature. En Europe, il est impossible de se procurer les variantes[1], et c’est une difficulté de plus pour pénétrer sa laborieuse méthode.

  1. La grande édition, qui vient d’être publiée à Chicago (chez Stone et Kimball), et qui est destinée à être définitive, donne toujours le dernier texte. Elle contient toutefois les variantes des poésies.