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jamais publié son roman, il répondait que c’était impossible en anglais à cause de souvenirs trop personnels, qui auraient blessé sa famille, mais qu’il en avait été imprimé une traduction française, et que l’ouvrage avait été attribué chez nous à Eugène Sue.

Il n’y a pas un seul mot de vrai dans cette histoire, et elle n’en a que plus d’intérêt à titre de symptôme moral. Poe s’était fabriqué sans plus de façons les débuts dans la vie qui seyaient à un nourrisson du romantisme. On vient de découvrir qu’il s’était engagé tout prosaïquement dans l’armée américaine (le 26 mai 1827) quand il n’avait plus su que faire à Boston ; son dossier existe encore au ministère de la guerre de Washington. On le mit dans les bureaux de l’artillerie, et il fut un bon petit soldat, très sobre dans un milieu où ce n’était guère l’usage, et très occupé d’une seconde plaquette de vers[1] qui est beaucoup meilleure que la première. Il se trouvait dans un de ces heureux intervalles où sa manie le laissait en repos. L’apaisement se faisait en lui et autour de lui, les ténèbres se dissipaient de dessus sa route. M. Allan, informé de sa situation, l’aida à entrer à l’École militaire de West-Point, et son mauvais destin parut conjuré.

À peine à l’école, il fut repris de ses « accès », qu’accompagnèrent des redoublements de bizarrerie. — Il avait un air harassé et ennuyé qu’on n’oubliait plus, dit un de ses compagnons de chambrée. Un rien l’irritait. Mal noté, sans cesse puni, il fut finalement chassé pour indiscipline et se trouva devant la porte, un beau matin du mois de mars 1831, avec douze sous dans sa poche et pas d’asile. Mme Allan était morte, M. Allan remarié, sur le point d’être père de famille, et désireux d’avoir le moins possible à démêler avec

  1. Publiée en 1829.