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mier mouvement généreux. » On lui reprochait aussi de rester un livre fermé, d’être toujours, comme il l’était déjà à six ans, « celui qui ne se laisse pas lire » ; la jeunesse a de l’éloignement pour ces âmes scellées qui semblent avoir quelque chose à cacher. Enfin, l’on n’était pas indifférent, dans cette démocratie, à la modestie de ses origines. Ses visées à la domination parurent déplacées chez un fils de cabotin, élevé par charité ; on le lui fit sentir ; il n’y fut pas insensible.

À dix-sept ans, il entra à l’université de Virginie[1]. Le jeu et les boissons fortes y causaient de grands désordres. Poe fit sa compagnie habituelle des plus ardents au plaisir, et les déconcerta par l’étrangeté de ses façons de s’amuser. L’usage était de se réunir entre étudiants pour jouer aux cartes en buvant du punch. Le nouveau venu apportait au jeu « une extravagance », selon l’expression d’un témoin, qui fut mal vue des coteries aristocratiques, et sa manière de s’enivrer leur parut populacière. Les autres étudiants buvaient parce qu’ils y trouvaient leur agrément. Poe, ainsi que l’a expliqué Baudelaire, « ne buvait pas en gourmand, mais en barbare,… comme accomplissant une fonction homicide ». On lit dans une lettre d’un de ses camarades d’université : « La passion de Poe pour les boissons fortes était aussi marquée et aussi particulière que sa passion pour les cartes. Ce n’était pas le goût du breuvage qui l’attirait ; il saisissait un plein verre, sans eau ni sucre, et l’avalait d’un trait, sans le goûter. Il en avait le plus souvent son compte ; mais quand il avait résisté, il était rare qu’il revînt à la charge. »

Il a bu « en barbare » sa vie durant. L’ivrognerie n’a jamais été pour lui une source de voluptés sensuelles,

  1. À Charlottesville, dans la Virginie.