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quel profond sentiment d’admiration et de perplexité, dit-il, avais-je coutume de le contempler, de notre banc relégué dans la tribune, quand il montait en chaire d’un pas solennel et lent ! Ce personnage vénérable, avec ce visage si modeste et si bénin, avec une robe si bien lustrée et si cléricalement ondoyante, avec une perruque si minutieusement poudrée, si raide et si vaste, pouvait-il être le même homme qui, tout à l’heure, avec un visage si aigre et dans des vêtements souillés de tabac, faisait exécuter, férule en main, les lois draconiennes de l’école ? Oh ! gigantesque paradoxe, dont la monstruosité exclut toute solution ! »

La suite de William Wilson offre un curieux mélange du réel avec le chimérique. Les événements sont de pure fantaisie ; Poe n’a jamais assassiné personne, même symboliquement, et son héros se vante en se donnant pour une fleur de perversité. Les souvenirs qu’il avait laissés à la pension étaient plus doux : « C’était un enfant de beaucoup de vivacité et de moyens, disait le docteur Bransby quand on l’interrogeait sur son ancien élève. Il aurait été un très bon petit garçon si ses « parents » ne l’avaient pas gâté, mais ils le gâtaient et lui donnaient un argent de poche extravagant, ce qui lui permettait toutes sortes de sottises. Je l’aimais bien tout de même[1]. » D’autre part, la grande tragédie de la vie de Poe éclate d’une façon si saisissante dans William Wilson, que ce récit fantastique se trouve être ce qu’on a jamais écrit sur lui de plus profondément vrai.

Il s’agit, dans le conte, d’un enfant de génie qui est de naissance un impulsif, et dont les impulsions deviennent plus violentes et plus perverses avec les années. Sa nature impérieuse lui a donné un grand

  1. Athenæum, 19 octobre 1878.