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tumait à penser et agir en fils adoptif, qui peut compter sur les privilèges attachés à ce titre. Il est impossible d’absoudre les faiseurs d’aumônes dont les imprudences préparent des amertumes aussi légitimes.

En attendant l’heure des déceptions et des rancunes, les Allan s’amusaient de ce joli petit garçon inquiétant qui ornait leur maison à la façon d’un animal exotique. On l’habituait à se donner en spectacle. Il était pomponné, adulé, bourré de cadeaux et d’argent ; il lui manquait d’être élevé, parce que les Allan, avec toutes leurs bonnes intentions, n’y pensaient pas, ne savaient pas s’y prendre. C’était le plus grand malheur qui pût lui arriver. On a constaté qu’à certains legs morbides correspond chez l’enfant un affaiblissement de l’être moral, une « insuffisance héréditaire du moi[1] », pour parler comme les médecins. L’éducation est alors le seul remède. Son efficacité, son heureuse puissance, ont été proclamées par la science, Dieu merci ! Que deviendrions-nous sans cela, nous les pères et les mères, à l’apparition dans le monde de cet inconnu, un nouveau-né ! L’éducation s’empare de ce moi « insuffisant », inconsistant, désagrégé pour ainsi dire, et elle lui reconstitue un « noyau solide », une charpente, au moyen de « complexus d’idées fortement enchaînées », qui lui deviennent des habitudes morales. À force d’emboîter et de cheviller l’enfant dans les attitudes d’esprit qui font l’honnête homme, l’éducation lui rend difficile de s’en écarter. Mais, sans elle, tout est perdu pour un Edgar Poe. Il le savait bien, et il en a voulu aux Allan de ne pas lui avoir imposé une discipline dans son enfance. Il s’en est plaint dans un de ses plus beaux contes, William

  1. Le Gendre, loc. cit.