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une malheureuse comme elle est relevée, sauvée et glorifiée par un homme de Dieu qui la rencontre de nuit dans un carrefour de Damas, et qui n’est rien moins que l’un des quatre Évangélistes. Je suis contraint d’abréger.

Au coin d’une place, à la lueur d’un feu de bourgeons de cèdre, l’Évangéliste aperçoit une figure d’une grâce tellement éthérée qu’elle semble surnaturelle. Ce n’est pourtant qu’une femme, et là, dans ce coin solitaire, on devine ce qu’elle attend. « Pauvre fleur flétrie, gémit l’Évangéliste, est-ce donc pour offenser ainsi le Saint-Esprit que tu as été si divinement douée de beauté ? — La femme, toute tremblante, dit : Rabbi, que faire ? tout le monde m’a abandonnée. — Écoute, dit le prophète, je suis l’envoyé de Celui que tu ne connais pas, de Celui qui a fait le Liban et les cèdres du Liban, et la lumière et les ténèbres et la mer et les cieux, et l’armée des étoiles. Demande ce que tu voudras, et par moi tu l’obtiendras de Dieu. — Et la fille du Liban, tombant à genoux et joignant les mains, s’écria : — Seigneur, ramène-moi dans la maison de mon père. — Ma fille, ta prière a été entendue dans le ciel. Le soleil ne se couchera pas pour la trentième fois derrière le Liban avant que je t’aie ramenée dans la maison de ton père. »

Elle resta dès lors sous la garde de l’Évangéliste, qui l’instruisit dans sa foi, et, le matin du trentième jour, elle reçut le baptême. Quand le soleil s’abaissa sur l’horizon, l’Évangéliste se leva et dit : « Fille du Liban, l’heure est arrivée de remplir ma promesse. Veux-tu que Dieu l’accomplisse dans un sens meilleur et dans un monde plus heureux ? » Mais la fille du Liban s’assombrit à ces paroles ; elle voulait revoir ses collines natales et sa compagne d’enfance, une douce sœur jumelle. Les vapeurs du délire vinrent obscurcir