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L’élève était d’une exiguïté remarquable, même pour une tribu de nains ; on l’aurait tenu dans le creux de la main. Cet atome toujours agité et tourbillonnant avait l’humeur extrêmement mobile. Il riait, pleurait, se fâchait, se consolait, dans la même minute, et le tout avec explosion. Un seul sentiment était invariable chez lui : l’horreur de l’ordre et de la régularité. Devenu grand, Hoffmann ne comprenait point que son oncle n’eût pas reconnu à ces signes qu’il avait un tempérament d’artiste. Rien ne dit que son oncle n’eût pas reconnu ce tempérament ; seulement il avait dû en conclure que le fils serait aussi insupportable que le père, et il se proposa de le repétrir en le soumettant à la discipline que lui-même s’était imposée. Bon gré mal gré, Hoffmann dut se faire son ombre, accomplir les mêmes choses aux mêmes heures, avec une ponctualité d’horloge, et cultiver aussi les arts par hygiène. Ce dernier souvenir lui était particulièrement odieux. Lui qui, dès l’âge le plus tendre, ne vivait et ne respirait que pour l’art et « tendait vers lui de toutes les forces de son âme », être condamné « à n’entendre parler musique, peinture, poésie que comme d’agréables distractions », saines après les repas, quel supplice pour une nature enthousiaste, « éprise de tout ce qui était noble et grand » ! Il était certainement à plaindre ; mais son oncle l’était peut-être encore plus ; la race brillante et séduisante des romantiques a toujours eu le don de faire souffrir autour d’elle.

Pour comble de misère, son « pédagogue » le contraignit à faire des études régulières, au risque d’étouffer en lui le poète et l’artiste, dans l’espoir de compter un jour un honnête magistrat de plus dans la famille Dœrffer. C’était un crime de lèse-génie, et c’était encore plus stupide que féroce, d’après Hoffmann, car on ne force point la nature. « — Que pensez-vous,