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leures intentions du monde, le rendit très malheureux et entrava son développement intellectuel, en lui donnant une éducation à rebours. C’était du moins l’avis de l’élève. D’autres penseront peut-être, en lisant son histoire, que son « pédagogue » n’avait pas toujours eu tort de contrarier ses instincts.

L’oncle Otto, conseiller de justice en retraite, était un singulier petit vieux drôlement bâti, coiffé d’un toupet frisé et vêtu d’une robe de chambre à fleurs. Les idées de la famille Dœrffer sur l’importance capitale de la règle et des formes s’étaient tournées chez lui en manies. Un ordre minutieux et inflexible présidait jour et nuit à ses actions. Il s’était assigné tant de minutes pour manger, tant pour jouer du clavecin ou lire des vers afin de faciliter la digestion, tant pour dormir ou se promener, et tant pour témoigner son affection filiale à sa vieille mère. Le même esprit d’ordre présidait à ses sentiments et à ses pensées. Il n’y avait pas dans la ville de Kœnigsberg un homme aussi esclave des conventions sociales, aussi à genoux devant tous les préjugés et aussi convaincu qu’ils sont le salut de la société ; mais il lui semblait toujours possible, sinon facile, de munir chaque enfant du viatique des « principes normaux » sans lesquels notre monde n’est « qu’un tohu-bohu et une bousculade, où l’on attrape à tout bout de champ des bourrades et de vilaines bosses ». C’est de cette dernière idée, la toute-puissance de l’éducation, qu’Hoffmann lui en a le plus voulu, et pour cause. L’oncle Otto entreprit de faire de son neveu un citoyen respectable, ayant de l’ordre et de la tenue, et le dressage fut dur, pour le maître et pour l’élève[1].

  1. Un éminent psychologue, M. Marillier, me fait remarquer que cet oncle si méthodique était aussi, sans doute, un malade. Le dégénéré méticuleux est un type classique.