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père comprend toujours plus ou moins ses enfants : « Le plus mauvais, disait son fils, vaut encore mieux sous ce rapport que le meilleur pédagogue. » Mais son père l’avait abandonné, et ce n’était pas sa pauvre mère qui pouvait le remplacer auprès de leur petit garçon.

Mme Hoffmann s’était retirée dans sa famille, chez sa mère Mme la conseillère Dœrffer, où elle avait enfin retrouvé des gens corrects et comprenant que la correction est le but final de la vie. Elle ne put jouir de ce rare bonheur. Ses chagrins l’avaient brisée. Elle était la vivante image de l’accablement, ne remuant pas, ne parlant pas, et ne pensant plus. Toujours recluse dans sa chambre, on l’y trouva morte un matin, et ce ne fut qu’une ombre de moins dans la maison.

Mme la conseillère ne bougeait non plus de son coin, étant devenue impotente avec les années. C’était une vieille dame extraordinairement imposante, car elle apparaissait au milieu des siens comme Gulliver parmi les Lilliputiens. La nature en avait fait une façon de géante, et le reste de la famille était composé de pygmées. Jamais on n’avait vu pareille collection de petits bouts d’hommes et de petits bouts de femmes. Jamais non plus on n’a eu autant d’oncles et de tantes qu’Hoffmann, et il n’y avait rien de plus étrange que leurs réunions de musique chez la grand’mère Dœrffer. Il en venait une légion, tous hauts comme une botte, et jouant pour la plupart d’instruments anciens et démodés. Hoffmann se demandait plus tard où ils les avaient déterrés. Il lui semblait rêver lorsqu’il se rappelait leurs formes bizarres et les sons vieillots de cet orchestre fantasque.

Peut-être rêvait-il en effet. Ses souvenirs d’enfance sont extrêmement sujets à caution. Hoffmann avait une théorie qui peut mener loin, avec de l’imagination. Il soutenait que les impressions reçues dans la première