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I

Au siècle dernier vivait à Kœnigsberg un ménage mal assorti, où chacun faisait le désespoir de l’autre. Ils avaient dû se marier par amour, quoique l’histoire n’en dise rien, car jamais des gens en possession de leur sang-froid n’auraient eu l’idée d’associer des humeurs aussi disparates. Le mari était un joyeux compère, la femme une pauvre créature, maladive et lamentable. Le mari avait des idées romantiques sur la beauté du désordre et du décousu, la femme croyait tout perdu quand on dérangeait une épingle. Le mari pensait que les conventions sociales ont été inventées par les sots, tout exprès pour donner aux gens d’esprit, parmi lesquels il se rangeait, le plaisir de s’en moquer et de les insulter avec raffinement. La femme avait été élevée dans un saint respect des rites établis par le monde pour manger ou pour saluer, et voyait de la perversité dans le refus de s’y soumettre. Ils n’étaient d’accord sur rien, ne s’entendaient sur rien : la vie commune était intolérable. — Ces braves gens, très aimés l’un et l’autre de leur entourage, étaient le père et la mère d’Hoffmann, qui naquit dans ce triste intérieur le 24 janvier 1776. Il était encore tout petit lorsque ses parents, renonçant à une lutte sans issue, prirent le parti de se séparer. Le père se retira dans une autre ville, et l’enfant resta avec sa mère.

Hoffmann considérait cet événement comme le grand malheur de sa vie. Il lui attribuait la tristesse de son enfance, qu’il comparait « à une lande aride, sans fleurs ni végétation, dont l’implacable monotonie énerve l’intelligence et le caractère ». Le mal aurait été moins grand, selon lui, si M. Hoffmann l’avait emmené. Un