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prêteront aucune attention à ce que vous leur demandez ; ils vous répondront même que cela ne les regarde pas et vous déclarent bien franchement qu’ils ne s’intéressent à rien. Une seule chose les occupe, les intéresse : leurs piqûres de morphine. Mais tout ce qui a trait à autre chose ne les regarde plus. »

Mêmes analogies pour les rêves. Les morphinomanes connaissent aussi les hallucinations à l’état de veille et les « cauchemars terrifiants » pendant le sommeil. L’un voit en plein jour des figures grimaçantes. L’autre — une fille du ruisseau — « écrase sur le plancher des bêtes qu’elle prétend voir distinctement ». X…, « vingt-neuf ans, docteur en médecine », a traversé en dormant les mêmes affres que Thomas de Quincey : « Il se réveillait la nuit en sursaut, croyant tomber dans les précipices. Ajoutez à cela des rêves terrifiants (visions d’animaux, de spectres, de bandes de feu, de figures grimaçantes), des rêvasseries qui lui prédisaient toutes sortes de mésaventures, de deuils, et qui plusieurs fois par nuit amenaient les insomnies les plus pénibles. Il se réveillait alors le matin brisé, anéanti, courbatu, épuisé au moral et au physique, et ne pouvant ni se tenir sur son séant, ni, à plus forte raison, se lever… » Une jeune femme « sent des bêtes qui viennent lui frôler la figure ; elle en sent quelques-unes même entrer dans le nez, la bouche… ».

En 1819, Quincey roulait toujours dans le gouffre. Il en regardait le fond, et y apercevait trois spectres, prêts à le recevoir dans leurs bras d’ombre. L’un était la folie, « qui le balançait sur une balançoire » d’une hauteur à toucher les nuages. Et il sentait que la folie était « une force » et qu’elle le tirait[1]. Le second était le suicide. Pourquoi pas ? « Nous pouvons regarder la

  1. Suspiria de profundis : Dreaming.