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des grands oiseaux plein les rues, comme on voit chez nous des moiniaux.

— Mais ne devait-on pas aller en Alsace ?

— Si, dit le vaguemestre. Y en a qui le croient au Trésor.

— Ça m’irait assez…


… Mais le bon sens et l’expérience acquise reprennent le dessus et chassent le rêve. On a affirmé si souvent qu’on allait partir au loin, et si souvent on l’a cru, et si souvent on a déchanté ! Aussi c’est comme si, à un moment donné, on se réveillait.

— Tout ça, c’est des bobards. On nous l’a trop fait. Attends avant de croire — et t’en fais pas une miette.

Ils regagnent leur coin, quelques-uns par-ci par-là ont à la main le fardeau léger et important d’une lettre.

— Ah ! dit Tirloir, i’ faut qu’j’écrive, j’peux pas rester huit jours sans écrire. Ça n’a rien à faire.

— Moi aussi, dit Eudore, i’ faut qu’j’écrive à ma p’tit’ femme.

— A va bien, Mariette ?

— Oui, oui. T’en fais pas pour Mariette.

D’aucuns se sont déjà installés pour la correspondance. Barque debout, son papier posé à plat sur un carnet dans une anfractuosité de la paroi, semble en proie à une inspiration. Il écrit, écrit, penché, le regard captivé, l’air absorbé d’un cavalier lancé au galop.

Lamuse, qui n’a pas d’imagination, passe son temps, une fois qu’il s’est assis, qu’il a posé sur la pointe matelassée de ses genoux sa pochette de papier et mouillé son crayon-encre, à relire les dernières lettres reçues, et à ne pas savoir quoi dire d’autre que ce qu’il a déjà dit, et à s’entêter à vouloir dire autre chose.

Une douceur de sentimentalité semble répandue sur le petit Eudore qui s’est recroquevillé dans une sorte de niche de terre. Il se recueille, le crayon aux doigts, les yeux sur son papier ; rêveur, il regarde, il dévisage, il