Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/374

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah ! mon vieux, si tout c’qu’on a subi n’était pas la fin de c’grand malheur-là – j’tiens à la vie : j’ai ma femme, ma famille, avec la maison autour d’eux, j’ai des idées pour ma vie d’après, va… Eh bien, tout de même, j’aimerais mieux mourir.

— J’vais mourir, fit en ce moment précis, comme un écho, le voisin de Paradis, qui sans doute avait regardé la blessure de son ventre, je l’regrette à cause de mes enfants.

— Moi, murmura-t-on ailleurs, c’est à cause de mes enfants que je ne le regrette pas. J’vais mourir, donc j’sais c’que j’dis, et j’me dis : « I’s auront la paix, eux ! »

— Moi, j’mourrai p’t’êt’ pas, dit un autre avec un frémissement d’espoir qu’il ne put contenir, même à la face des condamnés, mais j’souffrirai. Eh bien, j’dis : tant pis, et j’dis même : tant mieux ; et j’saurai souffrir plus, si je sais que c’est pour quelque chose !

— Alors faudra continuer à s’battre après la guerre ?

— Oui, p’t’êt’…

— T’en veux encore, toi !

— Oui, parce que j’n’en veux plus ! grogna-t-on.

— Et pas contre des étrangers, p’t’êt’, i’ faudra s’battre ?

— P’têt’, oui…

Un coup de vent plus violent que les autres nous ferma les yeux et nous étouffa. Quand il fut passé, et qu’on vit la rafale s’enfuir à travers la plaine en saisissant par endroits et en secouant sa dépouille de boue, en creusant l’eau des tranchées qui béaient longues comme la tombe d’une armée – on reprit :

— Après tout, qu’est-ce qui fait la grandeur et l’horreur de la guerre ?

— C’est la grandeur des peuples.