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À cet instant, il se produisit un bruit sourd. Des cris jaillirent à la ronde et nous frissonnâmes.

Tout un pan de glaise s’était détaché du monticule où nous étions vaguement adossés, déterrant complètement, au milieu de nous, un cadavre assis les jambes allongées.

L’éboulement creva une poche d’eau amassée en haut du monticule et l’eau s’épandit en cascade sur le cadavre et le lava pendant que nous le regardions.

On cria :

— Il a la figure toute noire !

— Qu’est-ce que c’est que cette figure ? haleta une voix.

Les valides s’approchaient en cercle comme des crapauds. Cette tête qui apparaissait en bas-relief sur la paroi que la chute de terre avait mise à nu, on ne pouvait pas la dévisager.

— Sa figure ! C’est pas sa figure !

À la place de la face, on trouvait une chevelure.

Alors on s’aperçut que ce cadavre qui semblait assis était plié et cassé à l’envers.

On contempla dans un silence terrible, ce dos vertical que nous présentait la dépouille disloquée, ces bras pendants et courbés en arrière, et ces deux jambes allongées qui posaient sur la terre fondante par la pointe des pieds.

Alors le débat reprit, réveillé par ce dormeur effroyable. On clama furieusement comme s’il écoutait :

— Non ! être vainqueurs ce n’est pas le résultat. Ce n’est pas eux qu’il faut avoir, c’est la guerre.

— T’as donc pas compris qu’il faut en finir avec la guerre ? Si on doit remettre ça un jour, tout c’qui a été fait ne sert à rien. Regarde ; ça ne sert à rien. C’est deux ans ou trois ans, ou plus, de catastrophes gâchées.