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Un remous, un refoulement.

— Halte !

Il faut s’arrêter pour en laisser passer d’autres. On s’amoncelle en vitupérant, sur les côtés fuyants de la tranchée. C’est une compagnie de mitrailleurs avec ses étranges fardeaux.

Ça n’en finit plus. Ces longues pauses sont harassantes. Les muscles commencent à tirer. Le piétinement prolongé nous écrase.

À peine s’est-on remis en marche qu’il faut reculer jusqu’à un boyau de dégagement pour laisser passer la relève des téléphonistes. On recule, comme un bétail malaisé.

On repart plus lourdement.

— Attention au fil !

Le fil téléphonique ondoie au-dessus de la tranchée qu’il traverse par places entre deux piquets. Quand il n’est pas assez tendu et que sa courbe plonge dans le creux, il accroche les fusils des hommes qui passent, et les hommes pris se débattent, et déblatèrent contre les téléphonistes qui ne savent jamais attacher leurs ficelles.

Puis, comme l’enchevêtrement fléchissant des fils précieux augmente, on suspend le fusil à l’épaule la crosse en l’air, on porte les pelles tête basse, et on avance en pliant les épaules.

Un soudain ralentissement s’impose à la marche. On n’avance plus que pas à pas, emboîtés les uns dans les autres. La tête de la colonne doit être engagée dans une passe difficile.

On arrive à l’endroit : une déclivité du sol mène à une fissure qui bée. C’est le Boyau Couvert. Les autres ont disparu par cette espèce de porte basse.

— Alors, faut entrer dans c’boudin ?

Chacun hésite avant de s’engloutir dans la mince ténèbre souterraine. C’est la somme de ces hésitations et de