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— Oui, j’sais, et encore, on lui voyait les côtes comme au bord de la mer.

— Y a pas à s’démieller, c’est comme ça.

— Y en a, dit Blaire, qui ont fait vite en arrivant, et i’s s’sont vus trouver à acheter qué’qu’ bidons d’pinard chez l’quénaupier qu’est au coinsteau d’la rue.

— Ah ! les vaches ! I’s sont vernis, ceux-là, d’pouvoir s’glisser ça le long du cou !

— Faut dire que c’était d’la saloperie : du vin à culotter les quarts comme des pipes.

— Y en a même, qu’on dit, qui ont voracé un piquenterre !

— Hildepute ! dit Fouillade.

— Moi, j’m’ai presque pas cogné la tête : i’ m’restait une sardine, et, dans l’fond d’un sachet, du thé qu’j’ai mâché avec du sucre.

— L’fait est qu’pour prendre une muflée, c’est pas vrai.

— C’est pas assez, tout ça, même si tu manges pas beaucoup, et qu’t’as l’boyau plat.

— D’puis deux jours, une soupe : un trucmuche jaune, brillant comme de l’or. Pas du bouillon, d’la friture ! Tout est resté.

— On l’a coulé en chandelles, faut croire.

— L’pus pire, c’est qu’on n’peut pas allumer sa pipe.

— C’est vrai, c’est la misère ! J’ai pus d’mèche ! J’en avais quéqu’ bouts, mais, allez, partez ! J’ai beau fouiller toutes les poches de mon étui à puces, rien. Et pour en acheter, comme tu dis, c’est midi.

— Moi, j’ai un tout p’tit bout d’mèche que j’garde.

Ça, c’est dur, en effet, et il est pitoyable de voir les poilus qui ne peuvent pas allumer leur pipe ou leur cigarette, et qui, résignés, les mettent dans la poche et se promènent. Par bonheur, Tirloir a son briquet à essence avec encore un peu d’essence dedans. Ceux qui le savent s’accumulent autour de lui, porteurs de leur pipe bourrée et froide. Et même pas de papier qu’on allumerait à la