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tant pour tout dire. Tiens, essaye voir… Hein ? Rends-la-moi. J’la garde. Ça m’servira bien, tu voiras…

Il brandit sa hache d’homme quaternaire et semble lui-même un pithécanthrope affublé d’oripeaux, embusqué dans les entrailles de la terre.

On s’est, un à un, groupés, ceux de l’escouade de Bertrand et de la demi-section, à un coude de la tranchée. En ce point, elle est un peu plus large que dans sa partie droite où, lorsqu’on se croise, il faut, pour passer, se jeter contre la paroi et frotter son dos à la terre et son ventre au ventre du camarade.

Notre compagnie occupe, en réserve, une parallèle de deuxième ligne. Ici, pas de service de veilleurs. La nuit, nous sommes bons pour les travaux de terrassement à l’avant, mais tant que le jour durera, nous n’aurons rien à faire. Entassés les uns contre les autres et enchaînés coude à coude, il ne nous reste plus qu’à atteindre le soir comme nous pourrons.

La lumière du jour a fini par s’infiltrer dans les crevasses sans fin qui sillonnent cette région de la terre ; elle affleure aux seuils de nos trous. Lumière triste du Nord, ciel étroit et vaseux, lui aussi, chargé, dirait-on, d’une fumée et d’une odeur d’usine. Dans cet éclairement blême, les mises hétéroclites des habitants des bas-fonds apparaissent à cru, dans la pauvreté immense et désespérée qui les créa. Mais c’est comme le tic-tac monotone des coups de fusil et le ronron des coups de canon : il y a trop longtemps que dure le grand drame que nous jouons, et on ne s’étonne plus de la tête qu’on y a prise et de l’accoutrement qu’on s’y est inventé, pour se défendre contre la pluie qui vient d’en haut, contre la boue qui vient d’en bas, contre le froid, cette espèce d’infini qui est partout.

Peaux de bêtes, paquets de couvertures, toiles, passe--