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pluie, mais il rit. Il a toujours sa bonne figure heureuse de ce matin. Ce n’est pas une averse qui lui ôtera le contentement qu’il emporte dans son cœur ferme et solide ; et ce n’est pas une maussade soirée qui éteindra le soleil que j’ai vu, il y a quelques heures, entrer dans sa pensée.

On marche. On se bouscule. On fait quelques faux pas… La pluie ne cesse pas et l’eau ruisselle dans le fond de la tranchée. Les caillebotis branlent sur le sol devenu mou : quelques-uns penchent à droite ou à gauche et on y glisse. Et puis, dans le noir, on ne les voit pas, et il arrive qu’aux tournants on met le pied à côté, dans les trous d’eau.

Je ne perds pas des yeux, dans le gris de la nuit, le poli ardoisé du casque de Poterloo, ruisselant comme un toit sous l’averse, et son large dos garni d’un carré de toile cirée qui miroite. Je lui emboîte le pas et, de temps en temps, je l’interpelle et il me répond – toujours de bonne humeur, toujours calme et fort.

Quand il n’y a plus de caillebotis, on piétine dans la boue épaisse. Il fait noir, maintenant. On s’arrête brusquement, et je suis jeté sur Poterloo. On entend, en avant, une invective demi-furieuse :

— Ben quoi, vas-tu avancer ? On va être coupés !

— J’peux pas décoller mes reposoirs ! répond une voix piteuse.

L’enlisé arrive enfin à se dégager, et il nous faut courir pour rattraper le reste de la compagnie. On commence à haleter et à geindre et à pester contre ceux qui sont en tête. On pose les pieds au petit bonheur : on fait des faux pas, on se retient aux parois, et on a les mains enduites de boue. La marche devient une débandade pleine de bruit de ferraille et de jurons.

La pluie redouble. Second arrêt subit. Il y en a un qui est tombé ! Brouhaha.

Il se relève. On repart. Je m’évertue à suivre de tout près le casque de Poterloo, qui luit faiblement dans la