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comme si on se revoyait ! Il me parle, et moi qui suis bien habitué pourtant à son accent du Nord qui chante, je découvre qu’il chante.

Nous avons eu de mauvais jours, des nuits tragiques, dans le froid, dans l’eau et la boue. Maintenant, bien que ce soit encore l’hiver, une première belle matinée nous apprend et nous convainc qu’il va avoir bientôt, encore une fois, le printemps. Déjà le haut de la tranchée s’est orné d’herbe vert tendre et il y a, dans les frissons nouveau-nés de cette herbe, des fleurs qui s’éveillent. C’en sera fini des jours rapetissés et étroits. Le printemps vient d’en haut et d’en bas. Nous respirons à cœur joie, nous sommes soulevés.

Oui, les mauvais jours vont finir. La guerre aussi finira, que diable ! Et elle finira sans doute dans cette belle saison qui vient et qui déjà nous éclaire et commence à nous caresser avec sa brise.

Un sifflement. Tiens, une balle perdue…

Une balle ? Allons donc ! C’est un merle !

C’est drôle comme c’était pareil… Les merles, les oiseaux qui crient doucement, la campagne, les cérémonies des saisons, l’intimité des chambres, habillées de lumière… Oh ! la guerre va finir, on va revoir à jamais les siens : la femme, les enfants, ou celle qui est à la fois la femme et l’enfant, et on leur sourit dans cet éclat jeune qui, déjà, nous réunit.


… À la fourche des deux boyaux, sur le champ, au bord, voici comme un portique. Ce sont deux poteaux appuyés l’un sur l’autre avec, entre eux, un enchevêtrement de fils électriques qui pendent comme des lianes. Cela fait bien. On dirait un arrangement, un décor de théâtre. Une mince plante grimpante enlace l’un des poteaux et, en la suivant des yeux, on voit qu’elle a déjà osé aller de l’un à l’autre.

Bientôt, à longer ce boyau dont le flanc herbeux fris-