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sort de la tranchée, on est en vue sur la descente, qui s’appelle d’un drôle de nom.

— Le toboggan.

— Oui, tout juste, et l’endroit est aussi difficile la nuit ou par la brume, que par le plein jour, à cause des fusils braqués d’avance sur des chevalets et des mitrailleuses qu’on pointe pendant le jour. Quand i’s n’voient pas, les Boches arrosent tout.

» On a pris les pionniers de la compagnie hors rang ; mais y en a qui ont filoché et on les a remplacés par quéqu’ poilus choisis dans les compagnies. J’en ai été. Bon. On sort. Pas un seul coup de fusil ! « Quoi qu’ça veut dire ? », qu’on disait. Voilà-t-il pas qu’on voit un Boche, deux Boches, dix Boches, qui sortent de terre — ces diables gris-là ! — et nous font des signes en criant : « Kamarad ! » « Nous sommes des Alsaciens » qu’i’ disent en continuant de sortir de leur Boyau International. « On vous tirera pas dessus, qu’i’s disent. Ayez pas peur, les amis. Laissez-nous seulement enterrer nos morts. » Et v’là qu’on travaille chacun de son côté, et même qu’on parle ensemble, parce que c’étaient des Alsaciens. En réalité, i’ disaient du mal de la guerre et de leurs officiers. Not’ sergent savait bien qu’c’est défendu d’entrer en conversation avec l’ennemi et même on nous a lu qu’il fallait causer avec eux qu’à coups de flingue. Mais l’sergent s’disait que c’était une occasion unique de renforcer les fils de fer, et pisqu’ils nous laissaient travailler contre eux, y avait qu’à en profiter…

» Or, voilà un des Boches qui s’met à dire : « Y aurait-i’ pas quelqu’un d’entre vous qui soye des pays envahis et qui voudrait avoir les nouvelles de sa famille ? »

» Mon vieux, ça a été plus fort que moi. Sans savoir si c’était bien ou mal, j’m’ai avancé, et j’ai dit : « Ben, y a moi. » Le Boche me pose des questions. J’y réponds que ma femme est à Lens, chez ses parents, avec la p’tite. I’ m’demande où elle loge. J’y explique, et i’ dit qu’i’ voit