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un de ces quatre matins, on boira du vin de là-bas, macarelle ! J’en ai quelques bouteilles que tu m’en diras des nouvelles. »

Cette perspective, tout d’un coup, éblouit Fouillade. Il est parcouru dans toute sa longueur d’un tressaillement de plaisir, comme s’il avait trouvé sa voie… Boire du vin du Midi et même de son Midi spécial, en boire beaucoup… Ce serait si bon de revoir la vie en rose, ne serait-ce qu’un jour ! Hé oui, il a besoin de vin, et il rêve de se griser.

Incontinent, il quitte les parleurs pour aller de ce pas s’attabler chez Magnac.

Mais il se cogne à la sortie, à l’entrée — contre le caporal Broyer, qui va galopant dans la rue comme un camelot en criant à chaque ouverture :

— Au rapport !

La compagnie se rassemble et se forme en carré, sur la butte glaiseuse où la cuisine roulante envoie de la suie à la pluie.

— J’irai boire après le rapport, se dit Fouillade.

Et il écoute, distraitement, tout à son idée, la lecture du rapport. Mais si distraitement qu’il écoute, il entend le chef qui lit : « Défense absolue de sortir des cantonnements avant dix-sept heures, et après vingt heures », et le capitaine qui, sans relever le murmure circulaire des poilus, commente cet ordre supérieur :

— C’est ici le Quartier Général de la Division. Tant que vous y serez, ne vous montrez pas. Cachez-vous. Si le Général de Division vous voit dans la rue, il vous fera immédiatement mettre de corvée. Il ne veut pas voir un soldat. Restez cachés toute la journée au fond de vos cantonnements. Faites ce que vous voudrez, à condition qu’on ne vous voie pas, personne !

Et l’on rentre dans la grange.