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son génie et sa gloire future. La femme supérieure qu’est l’héroïne, après un débat de conscience qui s’aggrave d’une intrigue de jalousie, estime qu’elle n’a pas ce droit, et elle éloigne d’elle à tout jamais le sculpteur Jean Darcy en lui faisant croire qu’elle partage le caprice du brillant Jacques de Linières. Jean méprisera celle qu’il croyait son ange et son inspiratrice, mais il guérira. Il épousera Rachel Loewis, qui nonobstant le milieu riche et corrompu où elle a été élevée, est une jeune fille parfaite et qui, dans l’ombre, aime l’artiste. Il fera son œuvre. Le droit du cœur est vaincu par le droit de l’avenir.

Dans la salle, c’est du délire. Après le dernier acte où la thèse du sacrifice est discutée, puis résolue par l’affirmative, où la trahison héroïque est, en un oppressant et inattendu mouvement de vire-volte, présentée violemment, comme un coup à l’amoureux et au public, lorsque le rideau tombe, on acclame, on se meurtrit les mains à force de les frapper l’une contre l’autre, on donne des coups de pieds sur le bois des loges, des coups de canne par terre, on trépigne, on aboie.

… La foule s’écoule, et la petite gravité du succès fond, dans les groupes de messieurs en pelisse et de dames renveloppées qui se pressent lentement vers la sortie.

— C’est toujours un peu la même chose, toutes ces pièces. En fin de compte, il n’en reste rien dans la mémoire.

— Et puis après ? Tant mieux. Moi, je vais au théâtre pour me distraire, et non pour me charger l’esprit.