Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle s’était arrêtée de pleurer. Elle releva la tête. Sans qu’il l’interrogeât cette fois, elle dit :

— Je pleure parce qu’on est seul.

« On ne peut pas sortir de soi ; on ne peut même rien avouer ; on est seul. Et puis, tout passe, tout change, tout fuit, et du moment que tout fuit, on est seul. Il y a des heures où je vois cela mieux qu’à d’autres. Et alors, qu’est-ce qui pourrait m’empêcher de pleurer ? »

Dans la tristesse où elle sombrait d’instant en instant, elle eut un petit secouement d’orgueil ; sur le masque de mélancolie, je vis un sourire grimacer doucement.

— Je suis plus sensible que les autres, moi. Des choses qui passeraient inaperçues aux yeux des gens, ont en moi beaucoup de retentissement. Et dans ces instants de lucidité, quand je me regarde, je vois que je suis seule, toute seule, toute seule.

Inquiet de voir sa grandissante détresse, il essaya de lui faire reprendre vie :

— Nous ne pouvons pas dire cela, nous, nous qui avons refait notre destinée… Toi, qui as accompli un grand acte de volonté…

Mais ces paroles sont emportées comme des fétus de paille.

— A quoi bon ! Tout est inutile. Malgré ce que j’ai essayé de faire, je suis seule. Ce n’est pas un