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mais que, même moi, je n’y puis rien non plus.

Je peux physiquement tourner la tête de mon cheval vers le Quesnay, donner de l’éperon et m’encourir vers Calixte pour lui crier : « Empêchez votre père de se jeter dans l’enfer pour vous ! » Mais, moralement, je ne le puis pas ! je la tuerais ! Je suis cloué ici, par peur de la tuer. Je sens bien qu’il faut que je la trompe aussi, moi ! Mais, monsieur, pourquoi moi, qui n’ai ni votre incrédulité ni votre force, m’avez-vous lié à votre mensonge, par cette accablante confiance que je ne vous demandais pas ?…

— Mais parce que je t’estime, enfant ! — lui dit Sombreval avec une inexprimable tendresse ; et il lui mit sur l’épaule cette large main qui, en ce moment-là, tremblait. — Plains-toi donc ! N’es-tu pas mon fils ?… Oh ! j’ai entendu dire à quelques mères que l’homme qui aime vraiment leur fille passe dans leur cœur et y devient comme un enfant de plus. Et moi, moi j’aime Calixte comme une mère… Je suis sa mère aussi… Voilà pourquoi, dans le fond de mon cœur, je t’ai fait mon fils et je t’ai parlé comme à mon fils !

Il s’exprimait avec le dernier degré de l’exaltation ; — et cette émotion, cette exaltation que Néel ne lui avait jamais vues qu’avec Calixte, et qui l’assimilaient, lui, à Calixte, — ce brisement dans la sensibilité de ce géant de