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Haletant, le cœur palpitant, Néel redoubla de vitesse, mais quand il arriva à l’étang… plus rien ! Où étaient-ils ? Ses yeux de dix-huit ans, ses yeux de chasseur, embrassèrent, étreignirent l’étendue liquide et verdâtre, trop épaisse pour réfléchir la lune, mais que la lune faisait miroiter… Ce n’était plus alors la lune blanche du commencement de la soirée. Elle avait jauni en montant dans le ciel, qui s’était foncé de bleu… Soucieuse, elle envoyait ses longs rayons obliques au fil de cet étang qu’elle faisait briller à certaines places, comme un monstrueux poisson vert, écaillé d’argent. Le vague bruissement de l’Elavare arrivait de loin jusque dans les saussayes… et à la pointe de ce vaste cône d’eau, on en apercevait la fumée…

Incertain, dépisté, Néel se tenait sur le bord de l’étang, plus sinistre encore de nuit que de jour et qui conseillait le suicide. Il allait s’y jeter à tout hasard, quand à vingt brassées du rivage, il crut voir traîner le suaire de Calixte. Attiré par cette indication certaine, Néel n’hésita plus : il se jeta dans l’étang et se dirigea vers le corps de sa bien-aimée, et il eut le bonheur, l’amer bonheur, de le prendre dans ses bras, ce corps qu’il n’y avait pris qu’une fois, et on se le rappelle, — pour si peu de temps ! et de le ramener au rivage.