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veux-tu faire de ce cadavre qui ne sera même plus un cadavre demain ?

— L’arracher à cette terre que je hais et l’emporter avec moi ! dit-il avec l’ardente résolution des âmes passionnées. Tant qu’il y aura un atome de mon enfant, ce sera encore mon enfant, et je l’adorerai !

— Ô mon enfant ! continua-t-il, faisant le mouvement de la bercer sur sa poitrine et lui parlant comme si elle avait pu l’entendre, — tu t’en viendras avec moi ! Je ne te laisserai pas à leur Dieu. Tu ne seras qu’à moi, à moi qui t’ai faite avec mon sang, avec ma vie, avec mon esprit, avec tout mon être ! Leur Dieu ! leur Créateur ! C’est moi qui suis ton seul père… Je n’y croyais pas, à leur Dieu, mais parce que tu y croyais, j’ai fait comme si j’y croyais. J’ai menti ! C’est pour toi que je leur ai joué cette comédie dont tous ils ont été la dupe, tant je la jouais bien parce que je la jouais pour toi ! J’aurais vieilli et je serais mort portant le fardeau de l’hypocrisie sur mon âme ! J’aurais mis sous tes pieds adorés, comme j’y avais mis mon cœur, cette tête qui ne croit plus et qui n’a jamais pu croire, depuis que je suis sorti de cette vie de prêtre dans laquelle, étant jeune, j’ai tant étouffé !

Et je serais mort à leur faire croire à tous que j’étais un saint, et pour te faire moins pleu-