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l’idée formidable de la chose qu’ils allaient accomplir transît la parole sur leurs lèvres…

Néel était aussi pâle que Calixte… Quand il eut fini de rougir cette barre dont il aurait mieux aimé sentir les morsures dans sa propre chair que dans la chair où il allait la faire entrer, l’abbé, de ses chastes mains de prêtre, écarta la couverture qui enveloppait les pieds de Calixte, et les découvrit jusqu’aux chevilles, ces pieds charmants, qui avaient alors la blancheur et la mollesse de la ouate.

— Vous rappelez-vous, — dit Néel en les voyant, — le jour où vous disiez qu’ils étaient dignes d’avoir des stigmates ?… Auriez-vous cru que c’était nous qui, un jour, les lui mettrions ?…

Et il approcha le fer rouge de ces pieds qu’il ne voyait qu’à travers ses larmes. Une fumée monta avec un bruit navrant, mais le corps de Calixte resta immobile ; nulle artère ne s’y réveilla, nulle fibre n’y tressaillit. Néel, qui y cherchait la vie avec rage et qui voulait la faire jaillir, par la douleur, des profondeurs d’un engourdissement qui pouvait la recéler encore, brûlait avec un acharnement égaré les beaux pieds insensibles que le feu rongeait, comme il aurait rongé une chair de fleur. Bourreau par tendresse, il s’enivrait de son action mêlée d’horreur et de volonté.