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plira pas. Et pourquoi s’accomplirait-il, puisque je serai morte, — ajouta-t-elle profondément comme si elle fût résorbée en elle-même, — et qu’il ne le faisait que pour moi ?

Néel et l’abbé avaient le cœur transpercé de ces paroles, mais ils sentaient, pendant qu’elle les disait, se couler dans leur âme le froid de la conviction qu’elle mourrait comme elle l’assurait avec une si poignante certitude, et ils n’osèrent la détromper, lui répondre : Non ! qu’elle ne mourrait pas !… Elle demanda anxieusement l’heure ; et à Néel, combien il avait mis de temps à revenir de Coutances ?

— Je suis sûr de mon vieux Jean Bellet comme de moi-même, dit Néel. Ce soir il sera à Coutances. Ils peuvent être ici dans deux jours.

— Mais vivrai-je deux jours ! — s’écria-t-elle avec angoisse. Vivrai-je encore deux jours, docteur ? Me cautionnerez-vous bien deux jours, — dites ? Priez, mon ami, fit-elle en se tournant vers le prêtre, — priez pour que je ne meure pas avant d’avoir revu mon père et pour que je vive encore ces deux jours !

Un sanglot qui venait du pied du lit lui fit tourner les yeux vers Néel, qui la regardait dans une espèce d’extase de douleur.

— Pauvre Néel, vous m’aimiez bien, dit-elle.